La Reine-Démon [RP ouvert]

Ce récit fait suite à La Porte.

Quelque part dans les Royaumes Frontières...


Mindos Omthol dévissa de ses doigts tremblants le cylindre d'ivoire et en sortit délicatement les parchemins craquelés. Ses yeux chassieux étudièrent avec soin les feuilles de vélin et s'écarquillèrent, comme le mage était envahi par une joie incrédule. Enfin, il tenait entre ses mains le secret de la jeunesse éternelle. Les sceaux et les griffonnages portés sur ces rouleaux étaient de la main de Baithorion lui-même !

Il prépara fébrilement ses alambics, les grandes fioles contenant le sang de cinquante vierges, et les encensoirs d'or, dont l'encens très fort était obtenu à partir d'ossements humains. Il mit ses pieds sandalés à l'intérieur du pentagramme rouge tracé avec le sang d'un grand-prêtre récemment décédé, que Mindos Omthol avait prélevé en personne sur le cadavre, avant que celui-ci soit porté en tombe.

D'une voix chevrotante, Mindos Omthol entonna un chant en une langue oubliée, qu'il était le dernier à connaître en ces jours. Sa main agitait l'encensoir, ses yeux suivirent avec attention la fumée grise de l'encens, comme celle-ci montait et se répandait dans la pièce. Ses oreilles se tendirent...

Il entendit un bruissement de cuir séché.


Ahhh ! Quelque chose se formait dans les ombres situées au-delà du pentagramme, où tout était aussi noir que l'ébène que l'on faisait venir des jungles de Punt. Une entité vivante prenait forme là-bas, qui ne révéla sa présence au début que par deux yeux d'un rouge flamboyant.

Le sort de Baithorion était efficace !

Son vieux coeur battit la chamade dans sa cage thoracique comme le mage se penchait en avant et regardait vers ces orbites étincelantes.

- Es-tu Abathon ? Le démon des dix enfers de Kryth ?

- Je suis Abathon. Ce fut un chuchotement au sein des ténèbres. "Qui appelle ainsi Abathon, l'importunant au milieu de ses plaisirs éternels ?"

- Mindos omthol, le magicien.

- Que désires-tu demander à Abathon ?

- La jeunesse ! Je veux... la jeunesse ! Un coeur jeune et résistant, un corps jeune et vigoureux, pour jouir des richesses et de la connaissance que j'ai amassées et acquises durant toutes ces années.

Il y eut un silence.

Lorsque le démon parla à nouveau, ce fut avec une évidente aversion :

- Redoutables et dangereux sont les sortilèges de Baithorion ! Je t'avertis, mage. Tu ferais mieux de laisser Abathon s'en retourner vers ses plaisirs dans le monde terrible de Kryth, et de renoncer à connaître ce qui a été interdit aux hommes depuis que Baithorion est mort en hurlant, dans la démence. Laisse-moi partir, te dis-je, et j'oublierai que...

- Non ! s'écria Mindos Omthol.

Sa main décharnée s'empara d'une fiole, contenant le sang des vierges. Avec un cri de désir plus impétueux que le désir d'un homme pour une femme, il lança la fiole de verre à travers la pièce. Celle-ci sortit des limites rouges du pentagramme et vola vers l'être de ténèbres qu'était Abathon.

Celui-ci attrapa adroitement la fiole. Le démon respira l'odeur du sang et, ce faisant, il se perdit ! Tout en murmurant, "cela fait bien longtemps que je n'ai pas bu un tel nectar !", il leva la fiole vers sa bouche grotesque et but avidement.

- A présent tu dois me servir ! s'écria le mage avec une voix de fausset, dansant de joie et triomphant. "Tu as bu le sang, tu viens de te mettre ainsi à ma disposition et tu dois m'obéir !"

Le démon ne répondit rien, étant trop occupé avec la fiole. Sa longue langue sortit de sa bouche pour lécher et faire disparaître les dernières gouttes de cette substance rouge. Ensuite il abaissa la fiole.

- J'ai bu le sang. Ordonne et j'obéirai, dit-il simplement. Pourtant le mage crut déceler en Abathon une certaine hésitation qui le mit sur ses gardes.

- Fais que je redevienne jeune. Eternellement jeune... comme Baithorion ! s'écria-t-il avec frénésie.

- Pas si vite. Oui, je peux te rendre jeune, mais seulement pendant une heure. Vois-tu, il y a un...

- Non ! hurla Mindos Omthol avec colère. "Le sortilège assure une jeunesse éternelle ! Je l'ai lu dans les livres de Vathelos l'Aveugle, dans son "Dialogue avec les Démons" et dans son très rare "Nuits de Nécromant", que je possède. Le sortilège donne une jeunesse éternelle."

Le démon eut un reniflement de mépris. "Comme si Vathelos savait tout ! En fait, il savait peu de choses sur le magicien que fut Baithorion. Deux mille ans séparèrent leurs deux existences. Vathelos l'Aveugle a surtout travaillé et étudié à partir de manuscrits aussi poussiéreux que ceux que tu lis. Il ne pouvait comprendre certains mots. D'autres ont été effacés par le Temps, qui détruit toute chose. Moi, Abathon, le dieu-démon de Kryth, te déclare ceci : pour compléter ton sortilège, l'aide du dieu Xixthur t'est nécessaire."

Le mage passa sa langue sur ses minces lèvres bleutées. Son coeur, qui avait chaviré de désespoir, battait follement à présent, en proie à un nouvel espoir. Il leva une main tremblante et la tendit vers l'horreur blottie dans un angle de sa pièce aux incantations.

- Dis-moi, comment puis-je m'assurer l'aide de ce dieu, Xixthur ?

- En le volant.

Les yeux de Mindos Omthol s'exorbitèrent. "Voler un dieu ?"

- Xixthur se trouve en la possession de la Reine Candara de Kor. Elle le garde dans sa chambre à coucher la plus intime, dans laquelle personne n'est admis, sauf elle... même pas ses amants ! Dans ce réduit secret, dissimulé dans la plus haute des chambres de la plus haute des tours de la ville de Kor, se trouve Xixthur.

- Ne puis-je lui dérober le dieux par un enchantement ?

- Candara est en partie une femme, et en partie un démon. Elle connait parfaitement les rites magiques de protection, dont elle a entouré Xixthur. Non, non, Mindos Omthol. Tu ne peux réaliser aucune incantation assez puissante pour briser son emprise sur lui.

- Mais... alors, comment puis-je l'avoir ?

- Seul un démon peut voler le dieu, un démon désirant s'emparer du dieu pour lui-même, et non pour un mortel. C'est pourquoi j'ai bien peur que ta requête ne soit désespérée. Même si tu parvenais à t'assurer l'aide d'un démon par un sort, et à lui ordonner de voler Xixthur pour toi, il échouerait parce qu'il ne déroberait pas le dieu pour son propre usage. Non, j'ai bien peur que tu ne perdes ton temps. A moins que...

- Oui ? chevrota Mindos Omthol, rempli d'espoir.

- Il y a peut-être un moyen. Je perçois la conjonction de certaines forces étranges et mystérieuses dans ton monde. Il me semble apercevoir la silhouette d'un homme avançant à grand pas à travers les brumes des Régions Hantées... un homme portant en son dos une grande épée.

- Qu'ai-je besoin d'un homme ? renifla avec mépris le mage déconcerté.

- Ne méprise pas ce que tu ne comprends pas ! Je vois également, dans la cité d'Urgal un vieux, très vieux démon... un démon encore plus vieux que toi, magicien ! Son énergie et ses pouvoirs sont sur le déclin. Il pourrait bien te faire une faveur... et voler le dieu Xixthur pour son propre usage.

Mindos Omthol applaudit de ses vieilles mains.

- Ensuite tu pourrais lui dérober Xixthur ? Est-ce que tu veux me laisser entendre, Abathon ?

- Connais-tu quelqu'un capable de voler un démon ? Non, non... ne me demande pas de faire cela. Je ne m'attaque jamais à quelqu'un de ma race. Tu devras trouver quelqu'un d'autre.

Le sorcier poussa un gémissement. "Mais qui, sinon un démon, pourrait me venir en aide ? Mes agents sont impuissants. Ils ne possèdent ni la force, ni la volonté nécessaires pour dépouiller un démon. Quant à la race des hommes... bah !"

Abathon émit un gloussement. "L'homme que j'aperçois dans les brumes est grand et fort, Mindos Omthol. C'est un Cimmérien, l'un de ces barbares pour qui les démons ne sont que des adversaires comme les autres, bien qu'ils les craignent. Celui-ci porte en son dos une épée enchantée. Il se pourrait bien qu'il soit en mesure de te venir en aide. Lui...et ses amis."

Le magicien n'avait pas besoin d'insinuations supplémentaires. Il pivota rapidement et se jeta sur une grosse boule de cristal, veillant à ne pas franchir les lignes rouges du pentagramme sacré.

Ses mains desséchées firent des signes occultes au-dessus du cristal, tandis que sa bouche prononçait des mots aux accents désagréables et blasphématoires. Ses yeux de vieillard regardèrent le cristal s'assombrir, envahi par les ténèbres. Puis celles-ci furent remplacées par les brumes des Régions Hantées.

Mindos Omthol contemplait la silhouette d'un jeune géant, minuscule à l'intérieur du cristal, mais immense en comparaison des blocs de rochers qu'il longeait à pied, précédant et guidant son cheval gris. Il portait une cotte de mailles qui brillait comme si elle venait d'être polie. Une grande épée, avec une gemme rouge enchâssée dans son pommeau, se balançait dans son dos, retenue par un gros ceinturon qui barrait la poitrine du géant. Une crinière noire de cheveux longs tombait sur ses épaules, des cheveux flottant aux vents furieux qui balayaient les plaines arides de la région désertique à travers laquelle il s'avançait.

- Est-ce l'homme en question ?

Le démon acquiesça de la tête. "Je perçois d'étranges pouvoirs autour de lui. Si j'étais moins bien informé, je dirais qu'il se trouve sous la protection d'Afgorkon lui-même, à côté duquel même le savoir occulte de Baithorion est celui d'un enfant. Quant à toi, disons que tu n'es même pas encore né !"

Au son de ce nom redouté, Mindos Omthol fit avec ses doigts un signe de protection dans les airs. Il demanda d'une voix sifflante, "si Afgorkon le protège, comment pourrait-il m'aider ?"

- Cet homme, aussi jeune soit-il, a des amis très sûrs. Il fait partie de la Legio Auxilia, qui a vaincu la sorcière Hyperboréenne Kyllikki et terrassé le dragon Vistrix. Les membres de cette petite armée forment une équipe très soudée, basée sur l'amitié et la confiance. C'est en cela que cet homme, ainsi que ces amis qu'il compte retrouver à Kor, te seront utiles. Quant à Afgorkon, il dort parfois. Si tu osais...

Mindos Omthol caqueta dans sa précipitation. "J'ose, j'ose !" s'écria-t-il, sautant d'un pied sur l'autre. "J'oserais n'importe quoi pour être jeune de nouveau. Dis-moi ce que je dois faire, Abathon. Dis-le moi !"

Le démon commença à parler...

Le géant et sa monture marchaient au pas, au sein des brumes qui enveloppaient le paysage. Mais, à la longue, les brumes se dissipèrent et laissèrent apparaître les pentes de collines lointaines et une plaine verdoyante s'étendant entre celles-ci.

Seanghal se mit en selle et lança Greyling, son cheval, au galop.

Kor se trouvait au-delà des collines, non loin de là. La ville avait été bâtie, de nombreux siècles plus tôt, par des soldats mutins de Némédie et d'Aquilonie, ainsi que par une bande de criminels et de diverses canailles venue de Brythunie, réunis sous la bannière léopard d'une reine exilée, du nom de Candara. Des femmes accompagnaient ces hommes, femmes de mauvaise vie et prostituées, elles-mêmes voleuses et vide-goussets !

C'étaient des gens de cet acabit qui avaient posé les premières pierres de Kor, avec l'aide d'un dieu du nom de Xixthur, disaient certains. C'était la ville la plus importante des Régions Hantées, et peu avaient osé l'attaquer. Aussi, elle avait prospéré, à sa façon. Assez curieusement, Kor avait toujours été gouvernée par une femme se nommant Candara.

Seanghal franchit les collines au crépuscule.

A ses pieds s'étendait la plaine de Kor et au milieu de celle-ci se dressait la ville. Elle était vaste et entourée de murs; les toits de plomb alternaient avec des toits de tuiles rouges et bleues. Les maisons elles-mêmes étaient en pierre grise. Le barbare contempla Kor et grimaça. Se penchant par-dessus sa selle, il cracha de dégoût.

- C'est un endroit corrompu, qui empeste ! grogna-t-il en flattant l'encolure de son cheval gris. Sa botte effleura le flanc de Greyling qui partit au petit galop.

Le soleil se couchait derrière lui. Les ombres étaient allongées et sinistres, lorsque le cheval gris franchit au petit galop les énormes portes de bois que des hommes commençaient à refermer, pendant qu'il y avait encore de la lumière sur la plaine de Kor.

Seanghal demanda : "Le Nombril de la Reine ?"

Un officier portant une armure rouillée agita un bras en grimaçant : "Le"Nombril de la Reine", la première rue à ta gauche, une fois passée la place publique. Bon souper, étranger !"

Le Cimmérien trouva quelque peu étrange le fait de n'avoir pas été questionné plus à fond. Il était étranger à la ville et bien armé. Mais il supposa, comme ce n'était pas un endroit agréable où se trouver que la ville de Kor faisait bon accueil à tous ceux qui lui rendaient visite, quels qu'ils fussent.

L'air empestait le vin et les ordures. En effet, c'était la saison sans vent, et les brumes montaient vers les remparts de la ville, telles une armée se lançant à l'assaut chaque nuit, comme pour enfermer ces puanteurs à l'intérieur de ses murs. Seanghal se boucha le nez et fit presser l'allure de Greyling.

Comme il s'avançait dans la Rue des Cabaretiers et des Marchands de Vins, après avoir dépassé la place indiquée, l'air se rafraîchit et devint plus odoriférant. Ses yeux étincelèrent. Des femmes seules se promenaient le long d'étroits trottoirs de bois, balançant des hanches. De temps à autre, l'une ou l'autre tournait la tête pour adresser un sourire à cet étranger de grande taille et bien bâti. Des portes donnaient sur des salles d'auberge, où la bonne odeur du pain en train de cuire se mêlait à celle de viandes tournant sur la broche et de fromages frais.

Seanghal grimaça, en arrivant devant une enseigne, qui montrait le ventre supposé de la reine, et un nombril profondément enfoncé. Une petite écurie jouxtait l'un des murs de l'auberge, à laquelle on arrivait en passant sous une arche de bois donnant sur une cour intérieure.

Un jeune garçon arriva en courant, prit les rênes du cheval de guerre et attrapa au vol la pièce de monnaie que Seanghal lui avait lancée. Il hocha de la tête lorsque le barbare lui dit qu'il voulait une avoine de bonne qualité, de l'eau et une litière sèche, pour Greyling.

Seanghal leva un bras musclé et poussa la porte de l'auberge.

Une femme l'accueillit d'emblée. Elle venait de contourner un tonneau de bois qu'un homme portant un tablier de cuir était en train de mettre en perce et s'adressait au géant.

- Bienvenue, étranger. Où veux-tu prendre place ? demanda-t-elle.
- Cela fait-il une différence ? demanda Seanghal, intrigué.

Elle agita un bras nu vers la gauche. "Là-bas, c'est l'endroit où les filles viennent danser. Un homme aussi vigoureux que toi peut facilement faire son choix parmi les femmes qui passent près de lui, au lieu de traverser la moitié de la salle." Elle se tourna et désigna les tables sur la droite. "C'est ici que la nourriture est servie. Nous préparons une multitude de plats, mais il se présente toujours des hommes pour les manger, et pour boire la bière et l'eau-de-vie que nous leur servons."

La femme lui adressa des regards enjôleurs. Elle était assez jolie, mais un peu trop vieille et flétrie à son goût. une simple tunique recouvrait son corps des épaules jusqu'aux genoux, retenue à sa taille par une large ceinture de cuir.

- Eh bien, que choisis-tu, mon mignon ? La nourriture ? Ou les femmes ?

"Donne moi une table près de l'endroit où dansent les femmes."

Tandis qu'elle les conduisait à travers la salle, Seanghal remarqua qu'un rideau était tendu sur l'un des murs, pratiquement derrière la table qui lui fut assignée. Apparemment les danseuses empruntaient la porte dissimulée par le rideau et passaient près de sa table pour accéder à la piste sur laquelle elles dansaient.

Il lança une pièce à la femme qui parut surprise. Puis elle lui adressa un sourire amical et dit, "prends un plateau sur cette table là-bas, rends-toi au long comptoir situé près du mur opposé et cogne dessus bruyamment avec une cuiller. Je veillerai à ce qu'une servante s'occupe de toi."

Une fois accoudé au comptoir, Seanghal frappa bruyamment sur le bar , puis il attendit qu'une servante vienne s'occuper de lui...

Une jolie fille aux longs cheveux blonds arriva en courant et prit sa commande : "un quartier de viande bien saignant et juteux, accompagné de pain et de fromage et un pichet de vin."

La fille disparut de ses yeux derrière son guichet et elle revint quelques minutes après avec un plateau bien fourni.

La porte de l'auberge s'ouvrit violemment vers l'intérieur et quatre hommes de grande taille pénétrèrent rapidement dans la salle commune, venant de la rue. La femme s'avança vers eux, mais les hommes lui firent signe de s'écarter, lançant des regards féroces vers Seanghal. Ils s'installèrent à une table proche du comptoir où l'on servait la nourriture.

Seanghal, avec l'instinct propre aux Cimmériens, sentit dans son dos des yeux le fixer. Il fut saisi d'un frisson entre les omoplates. Lentement il se retourna et parcourut la salle du regard. La douzaine de clients, arrivés avant lui, avaient oublié la nourriture servie dans leurs plateaux. Ils étaient beaucoup plus intéressés par lui et les hommes assis à la table proche du comptoir.

Son regard se posa sur les quatre hommes. Ils étaient grands et puissamment musclés. Leurs visages étaient vérolés et balafrés; ils avaient des yeux de cochon, mais un regard implacable. Il connaissait ce genre d'hommes. Ils voulaient s'amuser, et leur choix s'était arrêté sur lui. Ils avaient décidé qu'il était l'homme le plus à même de les divertir, malgré sa silhouette impressionnante.

Calmement, il paya la servante en argent aquilonien et celle-ci ramassa les pièces de monnaie et partit en courant.

Seanghal se retourna, portant le plateau dans ses grandes mains.

Les quatre hommes à la table voisine se levèrent en ricanant. Ils se séparèrent, se mettant deux par deux. Fearghal comprit que, lorsqu'il passerait entre eux, ils se jetteraient sur lui.

Il continua d'avancer, comme s'il ne les avait pas vus. Il se remémorait les paroles de son père, alors qu'il était enfant et qu'il l'accompagnait dans la forêt pour y couper des arbres : "Fils, si tu veux que tes coups de hache soient efficaces, tu dois visualiser à l'avance l'endroit où tu veux frapper. Il faut que tes gestes soient précis et la moindre hésitation peut être dangereuse."

Il était prêt.

L'un des hommes dit : "Pose ce plateau sur ma table, étranger. C'est justement le repas que je comptais commander."

Les sourcils de Seanghal se levèrent comme il s'arrêtait. "A quelle table, l'ami ?"

L'homme éclata d'un rire méprisant et montra la table du doigt.

Seanghal se déplaça avec la souplesse d'un félin. Il lança le plateau de viandes fumantes au visage de celui qui le tourmentait. Pratiquement dans le même mouvement, il saisit le rebord de la table de bois et la releva pour la jeter de côté, dans l'estomac des deux bravaches se trouvant sur sa droite. Ils s'écroulèrent, le souffle coupé, en poussant des grognements étouffés.

Seanghal serra la main qu'Urlaf lui tendait.

- Mon nom est Seanghal, l'ami, et je te remercie de ton aide. Mais avant d'accepter ton offre...

Il se pencha vers les hommes affalés sur le sol, les releva et cogna leurs têtes l'une contre l'autre.

- Vous avez gâté mon repas, bande de fripouilles, gronda-t-il.

Les têtes s'entrechoquèrent à nouveau.

- Je ne suis pas un homme riche, je ne peux pas me permettre de payer ce divertissement que vous nous avez donné.

Un craquement retentit comme il cognait une troisième fois les têtes hirsutes l'une contre l'autre.

- Vous allez me payer mon repas. Vous le paierez et vous y ajouterez un vin fin pour étancher la soif que vous m'avez donnée!

Desserrant les doigts, il laissa les deux hommes s'affaisser sur le sol. En grognant, il les contempla à ses pieds. Puis il tendit la main vers une grosse bourse de cuir, retenue par une chaînette au ceinturon du chef de ses tourmenteurs. Il ouvrit la bourse et grimaça en voyant les belles pièces d'argent. Il en prit une poignée et la lança sur le comptoir.

- Sers-moi un autre plateau, mignonne, dit-il à la jolie blonde. Et un également pour mon ami Urlaf, il doit avoir un appétit aussi aiguisé que le mien. Et cette fois, ajoute une bouteille de ton meilleur vin.

Il porta son plateau et la bouteille de vin jusqu'à la table choisie par Urlaf et ils s'installèrent tous deux pour manger, le plateau du chaman ours étant apporté par la serveuse.

Entretemps les quatre hommes avaient repris leurs esprits, se relevant et regardant autour d'eux avec égarement. Seanghal leur fit signe.

- Mettez-vous ici par terre à nos pieds, chiens ! Je n'ai aucune envie que vous alliez glapir auprès des gardes de la ville, en prétendant que je vous ai volé votre argent.

Les hommes s'avancèrent vers les Cimmériens, avec des airs de chiens battus. L'un d'eux fanfaronna : "Tu ne peux nous obliger à nous asseoir à tes pieds, étranger."

- Couchés ! fit Seanghal, et les hommes s'assirent à leurs pieds. Et que pas un de vous ne bouge ! Il se tourna vers son compagnon de table et d'un ton beaucoup plus amical lui demanda : "Dis-moi, ami Urlaf. Qu'est-ce qui t'amène par ici ?"

Seanghal fixa son vis-à-vis tandis qu'il vidait son verre, puis l'imita, le tapant lui aussi sur la table.

- Moi non plus ne les porte pas sur mon coeur, ami Urlaf. Ils ont exterminé mon clan, ma famille....

Un brouhaha soudain suivi d'un lourd silence anormal le fit s'interrompre et regarder vers l'entrée, pour y découvrir deux nouveaux-venus, causes du malaise ambiant.

L'un d'eux était un homme, difforme, avec une énorme bosse dans son dos et des jambes torses. Des cheveux hirsutes tombaient sur ses épaules, et la large balafre qu'était sa bouche était bordée par des lèvres épaisses et pourpres sur lesquelles passait rapidement une langue fourchue. Il portait des haillons crasseux. Mais les yeux, qui fixaient les deux Cimmériens au milieu de cette parodie grotesque d'un visage, étaient vifs et intelligents.

Seanghal examina le compagnon du nain contrefait.

C'était une femme. Elle portait une longue cape avec un capuchon noir, de telle sorte que seuls son visage et ses pieds sandalés étaient visibles. Le regard de Seanghal se porta vers ce visage, détaillant son ardente beauté, sa peau sombre, et quelques mèches de cheveux noirs et luisants, et de grands yeux au fond desquels des pupilles noires étincelaient, semblables à des charbons ardents sortis de l'Enfer.

- Sont-ce ceux-là, Zordanor ?

La créature difforme agita sa tête hirsute. "J'ai eu la vision que quatre hommes viendraient à Kor et que deux d'entre eux te serviraient. le Cimmérien que voici est l'un d'eux."

- Oui, l'Aquilonien, nous l'avons déjà.

Seanghal se sentait sur le qui-vive. Cette femme et le monstre qui l'accompagnait ne lui disaient rien que vaille. Il attendit, sur ses gardes, comme la femme s'avançait vers leur table. La robe de laine noire ondula légèrement, accompagnant ses pas. Sa démarche était tellement féminine et sensuelle que les yeux des Cimmériens essayèrent de brûler par leurs regards la laine noire pour contempler le corps dissimulé sous l'étoffe.

Les quatre rufians assis à terre, rampèrent, blêmes et apeurés, hors du chemin de cette femme, qui semblait incarner pour eux tous les monstres de leurs cauchemars.

Elle ne leur prêta pas le moindre regard et dit en s'adressant à Seanghal : "Je désire louer tes services, étranger."

- Madame, je suis venu à Kor pour servir la reine Candara.

- Imbécile ! Qui suis-je, à ton avis ?

Seanghal grimaça. "Une reine se déplacerait toujours avec une suite impressionnante de serviteurs et une importante escorte armée, destinées à la protéger et à rehausser sa gloire."


Son rire mélodieux tinta dans l'auberge. "Je n'ai besoin d'aucune protection, avec Zordanor à mes côtés. Et étant Candara, j'ai toute la gloire dont je puisse jouir. Tout ce qui se trouve à l'intérieur des murs de Kor m'appartient."

- A une exception près : moi !

Ses yeux noirs le regardèrent avec un air songeur. "Si tu prends mon or, tu m'appartiens, étranger. Hé bien ? Acceptes-tu d'entrer à mon service ?"

Elle fit un geste rapide de l'une de ses mains ornées de bagues. Le bossu plongea une patte dans une bourse de velours suspendue à sa ceinture et en sortit une douzaine de pièces d'or. Il les jeta négligemment sur la table.

- Un témoignage de ma générosité, fit la femme dans un souffle.

Le barbare contemplait l'or, ayant à l'esprit les trois pièces d'argent dans son aumônière de cuir, qui étaient toute sa richesse. Il acquiesça et tendit la main pour prendre les pièces.

- Tu ne désires pas connaître le genre d'emploi auquel je te destine ?

Les larges épaules de Seanghal se soulevèrent et retombèrent. "Pour t'être déplacée en personne et m'avoir offert ces pièces d'or, ce n'est certainement pas pour une basse-besogne. Et puis tu me paies, donc j’exécuterai la tâche que tu m'assigneras." Il ramassa les pièces d'or, une par une, les frottant entre le pouce et l'index, avant de les laisser tomber dans sa propre bourse, sauf une qu'il lança à Urlaf.

- Tiens, l'ami. Puisse-t-elle te servir dans ta quête.

- Suis-moi, dit Candara, et elle fit rapidement demi-tour.

Seanghal les suivit après avoir salué Urlaf une dernière fois. Il dominait de sa grande taille le bossu et la femme, et il se demanda, comme le vent s'engouffrait dans la rue et soufflait sur ses joues échauffées par le vin, s'il avait été engagé comme garde du corps.

La femme ignorait sa présence, s'avançant de son allure royale sur les pavés humides et souillés, longeant les petits caniveaux de pierre emplis d'eau et de saletés. Le bossu marchait en claudicant à son côté. Il ignorait le barbare aussi totalement que Candara elle-même.

Ils arrivèrent devant une grande porte de chêne, garnie de clous de cuivre, constituant la seule ouverture dans un mur de pierre grise. Deux hommes en armure saluèrent de la tête la reine et écartèrent les battants du portail. Ils pénétrèrent dans la cour extérieure du palais de Kor, lequel était entouré par un haut mur de pierre et se dressait largement au-dessus des maisons moins imposantes et plus petites des notables de la ville. Ici l'air était plus doux et parfumé, et les torches de sapin, brûlant dans leurs torchères de fer éclairaient des dalles parfaitement entretenues. Quelques soldats en cottes d'armes se tenaient devant la porte richement armoriée et regardèrent passer le trio. Seanghal se surprit à penser qu'il lisait dans leurs yeux de la peur et quelque chose ressemblant à de la sympathie, comme ils le fixaient en silence.

Ils gravirent un escalier de pierre étroit et franchirent une porte en bois donnant sur une pièce aux murs de pierre, tendus de lourdes draperies de brocart. Un grand feu dans une cheminée à hotte répandait une douce chaleur dans la pièce. Un grand fauteuil était placé près de l'âtre, et de l'autre côté de la pièce, à côté d'un prie-dieu soutenant un lourd volume, il y avait un bureau et une chaise.

Candara rejeta en arrière son capuchon et s'assit dans le fauteuil près de la cheminée.

Seanghal étouffa un grognement de pure admiration. Par Derketo ! C'était une femme splendide. La peau de son visage était foncée, comme celle d'une Stygienne. Ses cheveux aussi noirs et luisants que l'aile d'un corbeau, tombaient plus bas que ses épaules. Sa bouche était aussi rouge que le sang fraîchement versé, et semblait faite pour les baisers.

- T'es-tu déjà battu contre un démon, étranger ?
- De temps à autre, fit le Cimmérien en haussant les épaules.

Son rire cristallin retentit dans la pièce. "Tu ne les crains pas, alors ?" Elle se pencha en avant, retenant sa respiration, comme elle attendait sa réponse.
- Je les évite toutes les fois que cela m'est possible. Et je les affronte lorsque cela est nécessaire.
- Et si je t'ordonnais de te rendre dans la cité d'Urgal et de tuer le démon qui protège cette ville, Azthamur, ou de reprendre là-bas ce qu'Azthamur m'a volé ?
- Alors j'obéirais.
- Au risque de trouver la mort dans cette tentative ?

Seanghal haussa les épaules. Les yeux de la reine détaillèrent sa silhouette musclée de montagnard.
- Je dois pourtant t'avouer une chose encore, dit-elle lentement. "J'ai déjà choisi un autre homme pour éxécuter ce travail pour moi."
- Alors pourquoi m'avoir pris à ton service ?

Le bossu, qui était resté dans l'ombre, sur un côté de la cheminée à hotte, parla doucement : "J'ai récité les incantations et lancé les baguettes de prophétie, mais je n'ai pu découvrir lequel de vous deux convenait pour cette tâche."
- Envoie-le à Urgal. S'il échoue, alors j'irai, grogna Seanghal.

Elle secoua la tête. "Non. J'avertirais ainsi Azthamur que je cherche à lui reprendre Xixthur. Il viendrait la nuit à Kor et dévorerait la chair qui recouvre mes os. Je... je n'ose risquer cette éventualité."
- Xixthur ?

Elle eut un léger sourire. "Je te parlerai de Xixthur... si tu es l'homme que je choisis pour cette mission à Urgal."

Il y avait une promesse dans ses yeux qui mit en ébullition le sang chaud irriguant les veines de Seanghal. Le barbare gronda, "alors arrange un combat entre cet homme et moi-même. Celui qui sortira vainqueur de ce combat se rendra à Urgal."
- Fais-les s'affronter, dit Zordanor.

Candara le détailla, comme si elle le voyait pour la dernière fois.

- Quand nous battrons-nous ? demanda le barbare.
- Dans l'heure même ! Zordanor va te montrer le chemin.

Candara se leva et lui sourit tristement, comme si elle pensait qu'il ne s'en sortirait pas vivant.

Au plus profond des soubassements de la construction de pierre qu'était le palais de la reine de Kor, il y avait une petite salle ronde avec un sol de terre battue et une rangée de sièges disposés sur un mur, haut de trois mètres, entourant la petite arène. Plus d'une centaine de torches fichées dans le mur éclairaient brillamment l'arène elle-même, tandis que la rangée de sièges se trouvait dans les ténèbres.

Seanghal sortit par une porte creusée dans le mur de pierre, de forme circulaire, et se retrouva dans l'arène. Il tenait à la main Frostfire dont la lame bleutée étincelait à la lueur des torches. Il s'avança sur le sol de terre battue et leva les yeux vers la loge décorée des armes royales, un léopard tacheté rampant sur fond d'azur. Candara était assise là-bas, vêtue de sa robe de laine noire, bien que son capuchon fût rabattu, découvrant ainsi ses cheveux luisants et son visage d'une exquise beauté.

Un bruit métallique le mit sur le qui-vive. Il pivota rapidement sur lui-même comme un homme armuré franchissait une porte d'accès, plongée dans l'obscurité, dont la grille de fer était relevée.

Seanghal avait mis toute sa rapidité dans ce coup éblouissant, espérant prendre son adversaire par surprise. Mais celui-ci, en guerrier accompli, avait interposé à temps son lourd bouclier.

Le barbare assura la prise sur son arme et recula, plissant les yeux pour observer son adversaire, cherchant une faille dans son allure ou son armure de métal.

Les deux hommes tournèrent autour de l'arène, chacun jaugeant l'autre. Le Cimmérien était plus grand que son adversaire, et sa crinière noire tombait librement sur ses épaules musclées. Sa lourde cotte de mailles était rapiécée et trouée en de nombreux endroits, témoin des violents combats dont il s'était toujours sorti. Sur son front, une vieille cicatrice en forme d'étoile attestait d'un coup de masse reçu lors d'un combat contre des guerriers Vanirs.

Il se déplaçait lentement, assurant chaque pas, tel un félin, l'épée toujours pointée entre lui et le guerrier qui lui faisait face.

Sans prévenir il bondit soudain en faisant tournoyer sa formidable épée dans un éblouissant arc de métal bleuté, visant le cou de l'homme.

Le Cimmérien éprouvait une honte immense d'être ainsi obligé de reculer devant la puissance redoutable des coups de son adversaire. La honte le rongeait et le consumait intérieurement comme il s'efforçait de détourner avec sa lame les coups terrifiants qui pleuvaient sur lui à gauche et à droite.

Il était contraint de reculer, encore et encore. Puis il sentit dans son dos le mur de pierre rond, au-delà duquel il ne pouvait plus aller. Seanghal savait que les yeux noirs de la reine étaient fixés sur eux, étincelants.

Lentement, la honte se transforma en colère, cédant la place à cette démence barbare propre aux Cimmériens. Il grinça des dents et ses lèvres se retroussèrent. Bien qu'il fût un géant par la force et la taille, son adversaire n'en était pas moins redoutable, sa magnifique armure d'écailles et sa science du combat lui donnaient un avantage certain.

Seanghal porta une botte, poussant la pointe de son épée droit devant lui. Il prit Juniorlegend à contrepied, alors que celui-ci terminait une attaque. Le guerrier ne put se déplacer assez rapidement et l'acier lacéra son côté.

Le sang jaillit à l'endroit où Frostfire avait transpercé la cuirasse et le pourpoint de coton sous elle, de telle sorte que son armure fut maculée de pourpre. La blessure était superficielle, mais elle allait gêner Juniorlegend.

Se servant de son épée comme d'un bouclier, Seanghal repoussa violemment son adversaire qui partit à la renverse, déséquilibré. Puis il bondit à son tour pour l'achever.

Mais surplombant Junior et s'apprêtant à lui planter Frostfire en travers de la gorge, sous la mentonnière, il se ravisa.

- Tue-le, Barbare ! Il a perdu le combat ! La voix de Candara résonna étrangement dans les ténèbres des gradins.

Seanghal se redressa et recula lentement, abaissant son épée.

- Non, fit-il. Cet homme mérite mieux, c'est un combattant-né, qui s'est battu avec bravoure et courage. Il te sera plus utile vivant que mort.

Il fit face à l'endroit où se trouvait la reine.

Elle agita une main ornée de bagues. Deux hommes en cottes de mailles se présentèrent à la porte de bois et lui firent signe de venir.

Seanghal aida le guerrier à se relever tandis que Candara donnait ses instructions.

- Rejoins-moi dans ma chambre à coucher. Alors je te raconterai l'histoire de Xixthur et te dirai pour quelle raison je veux l'avoir à nouveau en ma possession.

Seanghal rangea son arme et adressa un coup d’œil à Junior. Celui-ci détourna son regard et, sans dire un mot, commença à délasser son armure maculée de sang. Le vainqueur suivit les soldats, quittant l'arêne. Comme il avançait le long d'un couloir, un homme portant un petit sac noir de médecin le croisa rapidement, pour aller panser Junior. Les soldats lui firent monter deux escaliers, jusqu'à une porte devant laquelle deux hommes à la puissante carrure, fortement armés, montaient la garde.

L'un des gardes ouvrit la porte. Seanghal pénétra dans une immense pièce, principalement meublée par un grand lit à baldaquin, dont les couvertures étaient en satin bleu pâle. Des canapés et des coussins étaient disposés ça et là dans la pièce, dont l'air était légèrement parfumé. De grandes fenêtres donnaient sur les Régions Hantées recouvertes par la brume, que l'on apercevait au-delà de Kor.

Candara se tenait sur le seuil d'une porte conduisant de la chambre à coucher vers une petite antichambre. Elle portait toujours sa robe de laine noire, dont le capuchon était rejeté en arrière. Derrière elle, le barbare distingua Zordanor.

Elle entra dans la pièce, dégrafant son manteau et le faisant glisser de ses épaules jusqu'à ses pieds. Seanghal ouvrit de grands yeux. La reine était entièrement nue sous une mince étoffe noire qui faisait seulement semblant de dissimuler son corps du cou jusqu'à ses pieds sandalés. Ce devait être une sorte de chemise de nuit, dont l'étoffe était brodée de filaments d'or formant des signes cabalistiques.

Zordanor referma la porte derrière elle, demeurant dans l'antichambre et laissant Candara seule avec le combattant. Elle vit la façon dont ses yeux détaillaient ses longues jambes fuselées et ses hanches rondes et voluptueuses. Elle eut un léger rire, comme si cet hommage rendu à son corps lui était dû.

- Quelle récompense demanderas-tu si tu me rapportes Xixthur ? murmura-t-elle.

- Cent pièces d'or, grogna Seanghal.

Les fins sourcils noirs de Candara se haussèrent. "Si peu ? J'étais prête à te donner beaucoup plus."

Ses hanches se balancèrent avec insolence, d'un air de défi, comme elle passait près de l'homme et allait à une petite table d'ébène à la marqueterie en ivoire. Une cassette de fer était posée sur celle-ci. D'une main ornée de bagues, la reine souleva son couvercle.

Seanghal vit que le coffre était rempli de pièces d'or brillantes. Candara se retourna et le regarda longuement. "Ceci ne constitue qu'un paiement partiel, étranger... si tu sors vivant et victorieux de cette aventure, bien sûr !"

Seanghal lorgnait l'or, en prie à des sentiments très divers. Le sort jeté par Afgorkon* pesait toujours sur lui, il le savait. Aussi longtemps qu'il porterait à son côté la grande épée Frostfire, qui était un présent de ce nécromant mort depuis longtemps, il ne pourrait posséder aucune autre richesse. Pour Seanghal, qui était un guerrier avant toute chose, Frostfire était un trésor suffisant par elle-même. Toutefois, il ne répugnait pas à sentir sa bourse lourdement chargée de pièces d'or.

Il soupira, sachant que cette fortune pouvait lui donner tout ce dont il avait besoin... de la nourriture en abondance, suffisamment de vin et d'ale pour étancher sa soif, une ou deux femmes dans son lit pour occuper ses nuits. Il était un homme aux goûts simples. Aussi, fut-il sincèrement surpris par ce que dit la reine lorsqu'elle prit à nouveau la parole.

- Tu pourrais gagner une couronne,... et moi avec elle ! Que dirais-tu d'être Prince de Kor ? fit-elle doucement. Elle leva ses bras nus et s'étira, remuant légèrement son corps aux formes pleines et rondes de gauche à droite sous le mince vêtement noir, afin qu'il vit la finesse de ses jambes et la rondeur de ses hanches, la plénitude et la sensualité de ses seins fermes.



* voir La Porte.

Le barbare n'éclata pas de rire. Jusque-là il n'avait pas songé à devenir prince, mais cette idée se présenta à lui brusquement. Avec cette femme pour reine, il aurait toutes les richesses dont un homme pouvait rêver. Car elles seraient au nom de Candara se reine, et non au sien ! C'était un moyen de tourner l'interdit d'Afgorkon.

Il adressa un large sourire à Candara et tendit une main vers elle.

Elle se glissa de côté pour lui échapper. Mais la main de Seanghal se tourna vivement, changeant de direction. Ses grands doigts se refermèrent sur le poignet de Candara et il l'attira vers lui. Il la pressa contre sa poitrine, abaissant son regard vers ses yeux noirs.

- Je ferai un bon prince, murmura-t-il.
- Lâche-moi, ordonna-t-elle. "Tu n'es pas encore prince de Kor ! Et Kor m'appartient!"

Il eut un rictus. La douceur de sa peau parfumée qu'il sentait, comme ses paumes montaient et redescendaient le long de son dos, fit naître une grande faim chez le barbare. Haï ! Par Derketo aux seins nus ! C'était une femme à tenir chaud à un homme par une froide nuit d'hiver.

- Tu as trop l'habitude d'avoir en face de toi des hommes qui te craignent, grogna-t-il et il lui assena une forte claque sur la croupe, la pressant contre lui. En même temps, sa bouche écrasait ses lèvres rouges, tendres et pulpeuses. Elle se raidit dans son orgueil outragé. Puis elle sentit la virilité du gigantesque barbare et sa féminité y répondit. Ses bras nus remontèrent et enlacèrent le cou de Seanghal, tandis que ses hanches rondes et sensuelles se plaquaient contre celles du Cimmérien.

- Et toi, tu ne me crains pas ? demanda-t-elle dans un souffle.

- Non, pas plus que ces lourdauds aux muscles amollis que tu appelles tes gardes ! Si tu veux me punir pour t'avoir embrassée, appelle-les !
- Pour que tu les mettes en pièces ? Non, Seanghal. Le démon Azthamur te tuera... d'une façon suffisamment horrible et atroce... si tu échoues. D'une façon tellement effroyable que même ma fierté de reine en sera satisfaite et y trouvera une réparation suffisante pour ton affront... avoir osé m'embrasser sans ma permission.

Il l'embrassa à nouveau, l'étreignant violemment et la serrant contre son corps dur. Lorsqu'il la relâcha, ses lèvres pleines s'incurvèrent en un léger sourire.

- Et si tu réussis, si tu me rapportes Xixthur, alors je serai ta reine, et je n'aurai subi aucun préjudice !
- Qui est Xixthur ? demanda-t-il ?
- Un dieu à la forme et à l'apparence étranges. Éternellement immobile, bien que possédant des pouvoirs qui me gardent jeune et belle, depuis de nombreuses, très nombreuses années.
- Tu veux que je capture un dieu ?
- Xixthur ne peut te faire de mal. C'est un dieu bienfaisant qui octroie une longue vie à ceux qui le détiennent. Et c'est pour cette raison, bien sûr, que le vieux Azthamur désirait avoir Xixthur. Depuis des éons, Azthamur demeure à Urgal, où il sert les seigneurs de cette cité avec une sinistre fidélité... Mais laisse-moi t'avertir, au sujet d'Azthamur. Apparemment, il est immortel... aucun homme vivant ne sait comment on peut le tuer, en admettant qu'il soit en mesure de le faire ! Pourtant tu devras découvrir la façon de le tuer, ou, si tu n'y parviens pas, de le duper, afin de lui ravir Xixthur... Mais sois prévenu ! Si tu ne tues pas Azthamur, il te suivra jusqu'au bout de l'Hyboria, réclamant ta vie en réparation de ton sacrilège. Une fois, il y a très longtemps, c'est ce que rapporte l'histoire, un homme sortit vainqueur du combat qui l'opposait à Azthamur et il s'enfuit avec la princesse royale d'Urgal, Athalia l'Angélique. Azthamur se lança à sa poursuite et le rattrapa dans les déserts de Stygie. L'homme livra un terrible et furieux combat. Mais Azthamur fut vainqueur, et nul ne sait ce qui arriva alors à l'homme... à l'exception de la princesse elle-même. Mais elle devint folle à ce spectacle, en voyant le châtiment que lui infligeait Azthamur. Devenue idiote et marmonnant des inepties, elle fut ramenée à Urgal par Azthamur, et donnée à son frère qui était roi d'Urgal. Aucun homme ne la revit jamais, mais la légende dit qu'elle hante les remparts d'Urgal durant les nuits sans lune, gémissant comme l'esprit maudit qu'elle est.